Chardons Infos 69

Automne  2011

 

 

 

   Entretien avec Pierre HÉRISSON 

  • Vice-Président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire

  • Membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation

  • Membre du groupe Union pour un Mouvement Populaire

 

Depuis mai 2005, vous êtes président par nomination du Premier Ministre de la Commission Nationale consultative des gens du voyage. En quoi consiste ce travail?

 

La commission nationale consultative des gens du voyage a été créée par la loi Besson en Juillet 2000. Elle est composée de 40 partenaires concernés par la vie des personnes non sédentaires dans notre pays, vivant en itinérants, en principe plutôt en groupe qu’individuellement. Ces personnes ont dans leurs us et coutumes, surtout à caractère cultuel, l’habitude de se réunir sous forme de mission pendant la période estivale.

 

Nous avons pour but de proposer des solutions répondant aux problèmes spécifiques rencontrés par les gens du voyage afin de leur garantir une meilleure insertion dans la communauté nationale. Cette commission contribue à garantir des droits et des devoirs identiques à chaque citoyen, quel que soit son choix de vie, nomade ou sédentaire. Elle doit donc relever de nombreux défis : notamment proposer des mesures pour l'amélioration des conditions d'habitat, mais encore travailler pour une meilleure scolarisation et une meilleure formation des gens du voyage, sachant que seulement 60% de leurs enfants vont à l'école.

 

Dans le cadre d’une circulaire de 2010, nous avons fixé la capacité maximale des missions : 4 hectares maximum, 200 caravanes maximum, 15 jours maximum. Le problème, c’est qu’il n’y a pas suffisamment de terrains de 4 hectares pour gérer l’ensemble de la population concernée, ce qui entraîne des débordements et des occupations illégales pour deux motifs : soit les terrains n’existent pas, soit, lorsque les conditions météos ne sont pas favorables, les gens du voyage recherchent des terrains dans un état sanitaire plus correct. En clair, cette année, la situation a été compliquée par de fréquentes pluies, et les premières missions qui sont passées sur les terrains prévus à cet effet les ont abîmés. Celles qui sont arrivées ensuite n’ont donc pas pu les utiliser. Si l’on se réfère à l’année 2010, un terrain peut servir au moins quatre ou cinq fois dans la saison. Cette année, ils n’ont servi qu’une fois, puis il a fallu trouver des terrains de substitution. Mais les gens du voyage les ont trouvés tout seuls, par des occupations illégales! Cela ne doit pas se reproduire.

 

Quel est le côté le plus désagréable et le plus compliqué de votre tâche ?

 

C’est d’arriver à trouver des compromis, dans le cadre de l’application de la loi, entre les collectivités qui doivent fournir des terrains, l’état qui doit faire respecter le calendrier, les règles du jeu, l’aspect sanitaire, etc., et la population itinérante, dans laquelle on dénombre, comme dans toutes les couches de notre société, des gens à problèmes ou en difficulté (délinquance, insalubrité, manque d’éducation, incivilité…). C’est le plus difficile, c’est l’objet du rapport que j’ai remis au Premier Ministre et au Ministre de l’Intérieur, qui s’intitule «Vers un statut proche du droit commun ». On ne peut pas aller complétement au droit commun, car dans notre pays celui-ci se fonde sur la sédentarité.

 

Un autre aspect désagréable, c’est de me faire houspiller par la population, par exemple parce que des gens du voyage ont envahi le terrain de foot de Copponex!

 

Pouvez- vous nous expliquer la loi relative au stationnement des gens du voyage ? Ont-ils le droit de s’installer sur des terrains privés sans avoir sollicité l’accord du propriétaire, d’y causer parfois certains dommages, de se brancher sur les installations locales et de repartir au bout de cinq jours, sans aucune forme de dédommagement?

 

Ils sont en situation illégale. Cependant, la loi française ne permet l’expulsion et l’évacuation que dans certains cas précis. Mais qu’ils violent la propriété d’autrui, d’une commune, d’un club de foot, d’un privé, d’un agriculteur, ils n’en ont pas le droit. Ceci étant, les procédures pour l’évacuation peuvent prendre de 72 heures à une semaine.
 

Et après, il y a-t-il des possibilités de poursuites pénales ?

 

Oui, mais comme ce sont des itinérants, c’est rarement le cas, car les juridictions sont fixes et les gens sont mobiles. C’est très compliqué.

 

Vous avez mis en place des espaces d’accueil qui leurs sont spécialement réservés. Pensez-vous que ces installations soient assez nombreuses pour accueillir la totalité des gens du voyage de passage?

 

Non, aujourd’hui, on est à mi-chemin. Depuis 2000, on a créé 24 000 places sur le territoire national; il en faut 40 000. Il en reste donc 16 000 à réaliser au sein d’aires d’accueil.

 

Quels est leur mode de fonctionnement ?

 

Pour les utiliser, il faut être juridiquement reconnu comme gens du voyage, c’est-à-dire qu’il faut disposer d’un carnet de circulation. Ensuite, il faut pouvoir apporter la preuve de la propriété de la voiture, de la caravane, et payer l’eau, l’électricité et le stationnement. A ce niveau, nous sommes partis de rien, mais aujourd’hui ça commence à rentrer dans les habitudes.

La loi a laissé aux collectivités l’initiative de fixer la durée maximale de stationnement pour les aires d’accueil aménagées. Elle peut aller de deux à quatre mois. Mais ce sont seulement des usages, et non la loi. Pour les terrains de grand passage l’été, c’est quinze jours maximum, comme le veut la circulaire signée par le Ministre de l’Intérieur.

 

Est-il vrai que des problèmes de tolérance se posent entre certaines communautés de gens du voyage ? Leurs différentes confessions engendrent-elles des difficultés particulières ?

 

Il y a un problème d’autorité et de représentativité entre les pasteurs et les chefs de famille, qui se font concurrence pour occuper les terrains. Il n’est pas rare de voir ceux qui ont réservé trouver un autre groupe à leur place. Mais comme il y a beaucoup d’homonymes, les choses sont un peu compliquées à gérer.
 

Pouvez-vous nous éclairer sur les ressources financières des gens du voyage ? Savez-vous globalement comment ils gagnent leur vie ? Cette communauté, dont plus de 90% est de nationalité française, touche-t-elle des subventions spéciales de la part de l’état ?

 

Ils sont à peu près 400 000 et font aujourd’hui partie des trois millions de personnes dans notre pays qui vivent dans un régime indemnisé, ce qui peut comprendre les allocations familiales, l’aide au parent isolé, le RMI (revenu minimum d'insertion), le RSA (revenu de solidarité active), etc… On peut ajouter que 25000 sont affiliés comme auto-entrepreneurs. Donc, ils vivent principalement grâce à deux sources de revenus. Premièrement, le régime indemnisé, deuxièmement, les petits boulots. Il y a aussi parfois, comme dans le reste de la société, et sans vouloir accuser certaines personnes plus que d’autres, la délinquance.

 

Qu’en est-il de la scolarisation des enfants ? L’instruction étant obligatoire en France, comment les parents gèrent-ils ce problème apparent?

 

Ils ont dû s’y mettre, depuis qu’on a pris des dispositions de suspension des allocations familiales quand l’enfant n’est pas scolarisé. Pour un millier d’enfants scolarisés voici quelques années, on en compte plus de 10 000 à ce jour. La difficulté, c’est de les prendre en compte dans la capacité d’accueil. Ainsi, une commune possédant une aire d’accueil aménagée doit prévoir, à l’école, une quinzaine de places supplémentaires pour d’éventuels enfants itinérants. Souvent, les aires d’accueil sont dans de petites communes. Alors imaginez si, par exemple, quarante caravanes arrivent, et une dizaine d’enfants supplémentaires débarquent subitement à l’école! De plus, beaucoup sont en retard au niveau scolaire, mais il n’est pas question de faire des écoles-ghettos. Ils vont à l’école de la République. S’ils sont en retard, il faut faire avec et trouver une solution. Malheureusement, ils ont perdu cette rencontre citoyenne pour apprendre à lire et à écrire qu’était le service militaire obligatoire. Je reste persuadé que dans notre pays, on a tout cassé lorsque l’on a supprimé le service militaire obligatoire. C’était un lieu de discipline, d’enseignement et d’apprentissage. On a vraiment perdu beaucoup lors de cette suppression.

 

Pour terminer, comment voyez-vous évoluer les choses ? L’avenir nous promet-il des améliorations ?

 

Il y a deux façons de voir l’avenir : les gens du voyage s’orientent petit à petit vers un plus grand respect des règles de la république, d’autant que les nouvelles générations comme les anciennes tendent à la sédentarisation ou à la semi-sédentarisation. Ce n’est pas très drôle de vivre en caravane toute l’année! Ceux qui ont le plus de moyens se stabilisent en achetant une propriété, d’autre en louant... l’intégration n’est pas toujours facile mais elle finit par se faire!

Propos recueillis par R.G.

     
     

 

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