Entretien
avec
Pierre
HÉRISSON
-
Vice-Président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire
-
Membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation
-
Membre du groupe Union pour un Mouvement Populaire
Depuis
mai
2005,
vous
êtes
président
par
nomination
du
Premier
Ministre
de
la
Commission
Nationale
consultative
des
gens
du
voyage.
En
quoi
consiste
ce
travail?
La
commission
nationale
consultative
des
gens
du
voyage
a
été
créée
par
la
loi
Besson
en
Juillet
2000.
Elle
est
composée
de
40
partenaires
concernés
par
la
vie
des
personnes
non
sédentaires
dans
notre
pays,
vivant
en
itinérants,
en
principe
plutôt
en
groupe
qu’individuellement.
Ces
personnes
ont
dans
leurs
us
et
coutumes,
surtout
à
caractère
cultuel,
l’habitude
de
se
réunir
sous
forme
de
mission
pendant
la
période
estivale.
Nous
avons
pour
but
de
proposer
des
solutions
répondant
aux
problèmes
spécifiques
rencontrés
par
les
gens
du
voyage
afin
de
leur
garantir
une
meilleure
insertion
dans
la
communauté
nationale.
Cette
commission
contribue
à
garantir
des
droits
et
des
devoirs
identiques
à
chaque
citoyen,
quel
que
soit
son
choix
de
vie,
nomade
ou
sédentaire.
Elle
doit
donc
relever
de
nombreux
défis :
notamment
proposer
des
mesures
pour
l'amélioration
des
conditions
d'habitat,
mais
encore
travailler
pour
une
meilleure
scolarisation
et
une
meilleure
formation
des
gens
du
voyage,
sachant
que
seulement
60%
de
leurs
enfants
vont
à
l'école.
Dans
le
cadre
d’une
circulaire
de
2010,
nous
avons
fixé
la
capacité
maximale
des
missions :
4
hectares
maximum,
200
caravanes
maximum,
15
jours
maximum.
Le
problème,
c’est
qu’il
n’y
a
pas
suffisamment
de
terrains
de 4
hectares
pour
gérer
l’ensemble
de
la
population
concernée,
ce
qui
entraîne
des
débordements
et
des
occupations
illégales
pour
deux
motifs :
soit
les
terrains
n’existent
pas,
soit,
lorsque
les
conditions
météos
ne
sont
pas
favorables,
les
gens
du
voyage
recherchent
des
terrains
dans
un
état
sanitaire
plus
correct.
En
clair,
cette
année,
la
situation
a
été
compliquée
par
de
fréquentes
pluies,
et
les
premières
missions
qui
sont
passées
sur
les
terrains
prévus
à
cet
effet
les
ont
abîmés.
Celles
qui
sont
arrivées
ensuite
n’ont
donc
pas
pu
les
utiliser.
Si
l’on
se
réfère
à
l’année
2010,
un
terrain
peut
servir
au
moins
quatre
ou
cinq
fois
dans
la
saison.
Cette
année,
ils
n’ont
servi
qu’une
fois,
puis
il a
fallu
trouver
des
terrains
de
substitution.
Mais
les
gens
du
voyage
les
ont
trouvés
tout
seuls,
par
des
occupations
illégales!
Cela
ne
doit
pas
se
reproduire.
Quel
est
le
côté
le
plus
désagréable
et
le
plus
compliqué
de
votre
tâche ?
C’est
d’arriver
à
trouver
des
compromis,
dans
le
cadre
de
l’application
de
la
loi,
entre
les
collectivités
qui
doivent
fournir
des
terrains,
l’état
qui
doit
faire
respecter
le
calendrier,
les
règles
du
jeu,
l’aspect
sanitaire,
etc.,
et
la
population
itinérante,
dans
laquelle
on
dénombre,
comme
dans
toutes
les
couches
de
notre
société,
des
gens
à
problèmes
ou
en
difficulté
(délinquance,
insalubrité,
manque
d’éducation,
incivilité…).
C’est
le
plus
difficile,
c’est
l’objet
du
rapport
que
j’ai
remis
au
Premier
Ministre
et
au
Ministre
de
l’Intérieur,
qui
s’intitule
«Vers
un
statut
proche
du
droit
commun ».
On
ne
peut
pas
aller
complétement
au
droit
commun,
car
dans
notre
pays
celui-ci
se
fonde
sur
la
sédentarité.
Un
autre
aspect
désagréable,
c’est
de
me
faire
houspiller
par
la
population,
par
exemple
parce
que
des
gens
du
voyage
ont
envahi
le
terrain
de
foot
de
Copponex!
Pouvez-
vous
nous
expliquer
la
loi
relative
au
stationnement
des
gens
du
voyage ?
Ont-ils
le
droit
de
s’installer
sur
des
terrains
privés
sans
avoir
sollicité
l’accord
du
propriétaire,
d’y
causer
parfois
certains
dommages,
de
se
brancher
sur
les
installations
locales
et
de
repartir
au
bout
de
cinq
jours,
sans
aucune
forme
de
dédommagement?
Ils
sont
en
situation
illégale.
Cependant,
la
loi
française
ne
permet
l’expulsion
et
l’évacuation
que
dans
certains
cas
précis.
Mais
qu’ils
violent
la
propriété
d’autrui,
d’une
commune,
d’un
club
de
foot,
d’un
privé,
d’un
agriculteur,
ils
n’en
ont
pas
le
droit.
Ceci
étant,
les
procédures
pour
l’évacuation
peuvent
prendre
de
72
heures
à
une
semaine.
Et
après,
il y
a-t-il
des
possibilités
de
poursuites
pénales ?
Oui,
mais
comme
ce
sont
des
itinérants,
c’est
rarement
le
cas,
car
les
juridictions
sont
fixes
et
les
gens
sont
mobiles.
C’est
très
compliqué.
Vous
avez
mis
en
place
des
espaces
d’accueil
qui
leurs
sont
spécialement
réservés.
Pensez-vous
que
ces
installations
soient
assez
nombreuses
pour
accueillir
la
totalité
des
gens
du
voyage
de
passage?
Non,
aujourd’hui,
on
est
à
mi-chemin.
Depuis
2000,
on a
créé
24
000
places
sur
le
territoire
national;
il
en
faut
40
000.
Il
en
reste
donc
16 000
à
réaliser
au
sein
d’aires
d’accueil.
Quels
est
leur
mode
de
fonctionnement ?
Pour
les
utiliser,
il
faut
être
juridiquement
reconnu
comme
gens
du
voyage,
c’est-à-dire
qu’il
faut
disposer
d’un
carnet
de
circulation.
Ensuite,
il
faut
pouvoir
apporter
la
preuve
de
la
propriété
de
la
voiture,
de
la
caravane,
et
payer
l’eau,
l’électricité
et
le
stationnement.
A ce
niveau,
nous
sommes
partis
de
rien,
mais
aujourd’hui
ça
commence
à
rentrer
dans
les
habitudes.
La
loi
a
laissé
aux
collectivités
l’initiative
de
fixer
la
durée
maximale
de
stationnement
pour
les
aires
d’accueil
aménagées.
Elle
peut
aller
de
deux
à
quatre
mois.
Mais
ce
sont
seulement
des
usages,
et
non
la
loi.
Pour
les
terrains
de
grand
passage
l’été,
c’est
quinze
jours
maximum,
comme
le
veut
la
circulaire
signée
par
le
Ministre
de
l’Intérieur.
Est-il
vrai
que
des
problèmes
de
tolérance
se
posent
entre
certaines
communautés
de
gens
du
voyage ?
Leurs
différentes
confessions
engendrent-elles
des
difficultés
particulières ?
Il y
a un
problème
d’autorité
et
de
représentativité
entre
les
pasteurs
et
les
chefs
de
famille, qui
se
font
concurrence
pour
occuper
les
terrains.
Il
n’est
pas
rare
de
voir
ceux
qui
ont
réservé
trouver
un
autre
groupe
à
leur
place.
Mais
comme
il y
a
beaucoup
d’homonymes,
les
choses
sont
un
peu
compliquées
à
gérer.
Pouvez-vous
nous
éclairer
sur
les
ressources
financières
des
gens
du
voyage ?
Savez-vous
globalement
comment
ils
gagnent
leur
vie ?
Cette
communauté,
dont
plus
de
90%
est
de
nationalité
française,
touche-t-elle
des
subventions
spéciales
de
la
part
de
l’état ?
Ils
sont
à
peu
près
400 000
et
font
aujourd’hui
partie
des
trois
millions
de
personnes
dans
notre
pays
qui
vivent
dans
un
régime
indemnisé,
ce
qui
peut
comprendre
les
allocations
familiales,
l’aide
au
parent
isolé,
le
RMI
(revenu
minimum
d'insertion),
le
RSA
(revenu
de
solidarité
active),
etc…
On
peut
ajouter
que
25000
sont
affiliés
comme
auto-entrepreneurs.
Donc,
ils
vivent
principalement
grâce
à
deux
sources
de
revenus.
Premièrement,
le
régime
indemnisé,
deuxièmement,
les
petits
boulots.
Il y
a
aussi
parfois,
comme
dans
le
reste
de
la
société,
et
sans
vouloir
accuser
certaines
personnes
plus
que
d’autres,
la
délinquance.
Qu’en
est-il
de
la
scolarisation
des
enfants ?
L’instruction
étant
obligatoire
en
France,
comment
les
parents
gèrent-ils
ce
problème
apparent?
Ils
ont
dû
s’y
mettre,
depuis
qu’on
a
pris
des
dispositions
de
suspension
des
allocations
familiales
quand
l’enfant
n’est
pas
scolarisé.
Pour
un
millier
d’enfants
scolarisés
voici
quelques
années,
on
en
compte
plus
de
10
000
à ce
jour.
La
difficulté,
c’est
de
les
prendre
en
compte
dans
la
capacité
d’accueil.
Ainsi,
une
commune
possédant
une
aire
d’accueil
aménagée
doit
prévoir,
à
l’école,
une
quinzaine
de
places
supplémentaires
pour
d’éventuels
enfants
itinérants.
Souvent,
les
aires
d’accueil
sont
dans
de
petites
communes.
Alors
imaginez
si,
par
exemple,
quarante
caravanes
arrivent,
et
une
dizaine
d’enfants
supplémentaires
débarquent
subitement
à
l’école!
De
plus,
beaucoup
sont
en
retard
au
niveau
scolaire,
mais
il
n’est
pas
question
de
faire
des
écoles-ghettos.
Ils
vont
à
l’école
de
la
République.
S’ils
sont
en
retard,
il
faut
faire
avec
et
trouver
une
solution.
Malheureusement,
ils
ont
perdu
cette
rencontre
citoyenne
pour
apprendre
à
lire
et à
écrire
qu’était
le
service
militaire
obligatoire.
Je
reste
persuadé
que
dans
notre
pays,
on a
tout
cassé
lorsque
l’on
a
supprimé
le
service
militaire
obligatoire.
C’était
un
lieu
de
discipline,
d’enseignement
et
d’apprentissage.
On a
vraiment
perdu
beaucoup
lors
de
cette
suppression.
Pour
terminer,
comment
voyez-vous
évoluer
les
choses ?
L’avenir
nous
promet-il
des
améliorations ?
Il y
a
deux
façons
de
voir
l’avenir :
les
gens
du
voyage
s’orientent
petit
à
petit
vers
un
plus
grand
respect
des
règles
de
la
république,
d’autant
que
les
nouvelles
générations
comme
les
anciennes
tendent
à la
sédentarisation
ou à
la
semi-sédentarisation.
Ce
n’est
pas
très
drôle
de
vivre
en
caravane
toute
l’année!
Ceux
qui
ont
le
plus
de
moyens
se
stabilisent
en
achetant
une
propriété,
d’autre
en
louant...
l’intégration
n’est
pas
toujours
facile
mais
elle
finit
par
se
faire!
Propos
recueillis
par
R.G. |